La banalité du mâle

Les progressistes n’aiment pas les hommes, du moins ils n’ont aucune confiance en eux et leur génie créateur. C’est pourtant ce dernier qui a permis à l’humanité d’évoluer au point de maîtriser son environnement à un point tel qu’il pourrait aisément s’adapter aux pires conditions – conditions dont l’homme est paradoxalement en partie responsable, il suffit de songer aux désastres écologiques résultant des divagations des régimes socialistes du 20ème siècle. Soyons francs, quelques saloperies sont également le fait d’imbéciles finis en cheville avec des Etats crapuleux, mais là n’est pas mon propos. Nulle foi en l’homme, donc, puisqu’ils entendent imposer à tous leurs doctrines salvatrices et bénéfiques qui, en général, se résument à une régression en bonne et due forme associée à un contrôle toujours accru assis sur un matraquage fiscal de bon aloi. Oh, je connais bien quelques chafouins qui prétendent que cette obsession cybernétique n’est que temporaire, que quand viendra le Grand Soir il ne sera plus nécessaire sous prétexte d’utilité publique de noter, enregistrer, recenser, tarifer, timbrer, toiser, coter, cotiser, patenter, licencier, autoriser, apostiller, admonester, empêcher, réformer, redresser ou corriger. Mais d’ici-là, et au nom de l’intérêt général, il conviendra de mettre à contribution, rançonner, exploiter, monopoliser, pressuré, mystifié, volé; puis, à la moindre resucée, au premier mot de plainte, réprimé, vexer, traquer, assommer, désarmer, garrotter, emprisonner, juger, condamner, déporter, sacrifier et pour comble : être joué, berné, outragé, déshonoré.

Je vous sais fins lettrés, vous n’ignorez donc pas que Proudhon dixit (quoique légèrement modifié par votre serviteur) et qu’il est parfois utile de chercher l’inspiration même chez un gauchiste, tant il est vrai que le cher homme n’a pas dit que des conneries : il en a écrites aussi. On peut bien entendu ne retenir de Paul-Joseph que cette charge contre l’État, qui n’est pas sans panache ni vérités – après tout, n’a-t-on pas dit de lui qu’il était le Feuerbach français ? Las ! il a surtout failli à démonter Malthus et, en dernière analyse, c’est ce qui me désole le plus chez Proudhon car il avait, je pense, largement les moyens d’y parvenir, lui qui refusait le matérialisme utilitaire. Je vous en parle un peu parce que je l’aime bien, finalement, le petit père Proudhon et puis il a si mal été compris par les anarchistes de tout temps qu’il m’est automatiquement sympathique. Voyez-vous, Proudhon oscillait sans cesse entre l’affirmation des droits de l’individu et l’affirmation des droits de la société, c’est un homme ballotté entre l’individualisme et le solidarisme dont Marx avait dit (je paraphrase) qu’il n’était qu’un petit-bourgeois assis entre l’économisme et le socialisme, incapable même de choisir entre les deux. Venant de Marx, c’est presque un compliment ! Bref et en tout état de cause si je fais le détour par Proudhon c’est uniquement, comme je l’avouais ci-dessus, par délice de fin gourmet et n’a absolument rien à voir avec le propos de ce billet. C’est gratuit, cadeau, produit de mon onanisme cérébral !

Deux tendances coexistent en l’être humain: le souhait de régression et celui de progression. Il y a en chacun à la fois une crainte à se dégager de ce qui est sûr et le souhait de se soustraire à cette certitude pour aller vers une nouveauté. Freud l’a fort bien décrit comme pulsion de mort et pulsion de vie mais en occultant la transcendance qui permet une représentation du monde. Ce sont à mon avis les conditions nécessaires de l’existence humaine : analyse de ce qu’est l’homme, de ce qu’est sa nature, de ce que sont les conditions spécifiques de son existence. Si on a le goût de l’observation on peut tenter de découvrir quels sont les besoins et les passions élémentaires qui découlent de cet état, de l’existence de l’homme, et de quelle façon répondre à ces besoins. Si on a en plus le goût du pouvoir alors on peut tenter de construire de toutes pièces le cadre de l’existence et imposer ses besoins à tout le groupe social sans alternative ni échappatoire. Dans ce dernier cas, qui est invariablement celui d’un projet collectiviste, l’identité individuelle est effacée et remplacée la place de l’individu dans le groupe. En d’autres termes, le « je » est exclusivement concevable s’il est défini par le « nous », pour le « nous » et entièrement dédié au « nous ». Il ne peut donc pas y avoir d’individualité en dehors de l’appartenance au groupe ce qui implique l’impossibilité de développer le sens même du «je ». En conséquence la créativité, l’initiative et l’entreprise individuelle est obligée de se percevoir à l’aune du conformisme. L’homme doit se conformer aux autres et aux normes sociales et il ne se sent «je » tant qu’il n’est pas différent de son voisin. Notons par ailleurs que la grille de lecture qui lui permet de tirer cette conclusion n’émane pas des libres interactions entre individus mais bien d’un pouvoir central qui, si l’individu s’en éloigne d’un nanomètre, s’efforcera d’effrayer le pékin en jouant sur la peur de perdre son identité. Dans une effarante majorité de cas, l’homme s’effraie face au « qui suis-je? » et la névrose qui en découle le pousse presqu’invariablement vers le confort de la certitude proposée – il régresse. Tant qu’il reste absolument conforme, il n’a aucun besoin de se demander « qui suis-je? » car à l’évidence «je suis comme tous les autres ».

Et pourtant il me semble que l’homme peut exister tout à la fois en-dedans et en-dehors d’une identification forcée, il peut transcender et il le fait en recourant à la créativité. Vous m’objecterez sans doute que l’on peut aussi créer dans un cadre rigide, fini et contraignant de nature mais vous devrez alors admettre qu’on tourne rapidement en rond. Au bout d’un moment, la création au service de la norme ça donne une esthétique au service du réalisme doctrinaire et si je vous donne en exemple l’esthétique marxiste même les moins cultivés d’entre vous pourront mesurer la pauvreté affligeante des résultats au-delà d’une limite qu’il est malaisé de situer mais qu’on finit toujours par prendre dans le museau. À partir de ce stade le carcan idéologique interdit d’aller de l’avant et la seule possibilité de transcender devient la destruction. Oh, pas forcément la destruction physique, mais peu importe : si on ne peut progresser il est implicite qu’il faille régresser tant il est vrai qu’il n’existe pas d’immobilisme – le présent, c’est évident, n’existe pas. Alors seront détruits le sens des choses, des mots et des idées, avant que d’autres s’attèleront à redéfinir la réalité afin sa perception corresponde à la grille de lecture de leur choix (donc de leurs névroses). Bien sûr, la réalité ne se pliera jamais à rien du tout et il conviendra de faire intervenir un principe de coercition auquel on attribuera une légitimité par quelqu’artifice plus ou moins efficace et/ ou tordu, comme le Contrat social par exemple. Et ça vous rappelle quelque tournant historique, généralement caractérisé par gesticulations pathétiques de révolutionnaires qui diffèrent à peine les uns des autres si ce n’est par l’absence de culotte ou le port d’un gilet de couleur, vous aurez parfaitement raison. Rien n’est plus banal qu’une masse de quidams qui prétendent changer le monde alors que ce faisant, à quelques détails près, ils ne feront que reproduire une société à peine discernable de la précédente. En général ça prend un peu de temps, je vous l’accorde, mais au bout d’un moment l’homme nouveau finit toujours par fichtrement ressembler à l’ancien et les structures de la société nouvelle ne se distinguent en général de l’ancienne que par la couleur dont on a peint les colonnades ou les devises ornant les frontispices.

Pourtant l’homme a des besoins qui lui sont propres et qui existent tout à fait indépendamment de toute société, mais si on admet qu’il ne puisse vivre que pour répondre aux exigences de la société, alors on doit admettre une société conçue exclusivement pour répondre à des besoins – réels ou fantasmés – de l’homme. C’est l’expression la plus tangible de la phrase célèbre de l’immense Frédéric Bastiat : « L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. » et c’est aussi la réalité de la plupart des groupes sociaux humains dont la banalité devrait faire frémir le plus obtus des bourricots. Or ce n’est bien sûr pas le cas e s’il fallait encore s’en convaincre j’invite mes lecteurs à consulter les revendications des Gilets jaunes ou le programme de progressistes professionnels dont le conformisme est tel qu’il me tarde de relire les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola afin de nourrir mon esprit de choses à la fois profondes et infiniment mieux construites à défaut de me convenir sur le fond. En définitive, c’est l’absence totale et cruelle d’empathie qui conduit l’homme à se confiner dans ce marigot où la pensée est subordonnée à l’idéologie et qui fait de lui un être absolument prévisible. Les plus philosophes d’entre vous me reprocheront sans doute le choix du mot « empathie » car c’est justement en son nom que les progressistes imposent leur doctrine – ne scandent-ils pas « l’humain d’abord » ? – mais c’est ce que j’ai trouvé de plus cohérent pour demeurer dans le paradoxal. Qu’il suffise de dire que je dénonce ici la prétention à l’unicité et à l’originalité de ceux qui affirment dépasser les héritages en brisant les traditions et en reformulant des interrogations anciennes pour créer des concepts nouveaux. Sur le plan intellectuel c’est d’une pauvreté abyssale et sur le plan de la réalité objective ils n’aspirent qu’à un lieu commun vers lequel convergent les intérêts individuels. Et s’ils ne convergent pas spontanément, on usera de la force – face à tant d’inventivité, de créativité et d’innovation, admettez que je pouffe !

Je vais vous faire une confidence : de tout ce qui précède on peut effectivement ne retenir que la « banalité du mâle », parce qu’il est vrai que rien dans son action n’est moins prévisible que sa prétention au Progrès (notez la majuscule !) Ou encore parce qu’on aura apprécié le pied-de-nez à Madame Arendt ; ou plus simplement parce qu’on aime les calembours douteux. Mais dans la mesure où rien ne permet d’affirmer que les femelles sont moins aptes ou moins versées dans l’art subtil du Progressisme que leurs congénères à zizi, il est bien entendu évident que ce billet s’adresse aussi à elles. Celles qui n’ont comme risible ambition que de ressembler aux hommes afin de les déposséder et de les dominer méritent à peine qu’on s’y intéresse au-delà de la dimension psychiatrique, j’en conviens, mais soyons conscients que même émancipées, libérées, délivrées, les Progressistes de type « XX » manient aussi bien la dialectique et la machette que les types « XY ». La femme peut, comme l’homme, penser et agir en faveur d’un dépérissement délétère de l’intellect qui se traduit, dans le contexte de ce billet, par une foi atterrante dans le Progressisme tout en revendiquant une originalité indécelable même avec le plus puissant microscope électronique. Leur projet de société n’est pas l’espace où convergent les intérêts individuels, mais invariablement un objet défini par eux, pour eux et à l’exclusion de toute autre proposition. Certes, Etienne Chouard est un homme, qui « duos habet et bene pendentes », qui propose un Progrès d’un conformisme confondant et étouffant, mais qui importe peu car satisfaisant totalement à une constante qui peut se résumer ainsi : sans aspiration collective, une société est sans devenir car elle ne propose pas de créer un nouveau lien social, quitte à inventer ou à forcer l’émergence de ce lien . Je schématise à peine, hien ! les mots ne sont même pas de moi. Quant à l’usine à gaz proposée en matière de Progrès, qu’il suffise d’en dire qu’elle me semble plus attendue, entendue, téléphonée même qu’un discours de Mélenchon ou un sketch de Dieudonné (ce dernier ayant au moins le mérite d’être parfois drôle, bien qu’antisémite, ce qui n’est pas forcément antinomique comme le faisait remarquer le regretté Dr Petiot au juge qui entendait le raccourcir).

Retenez ceci : la banalité de ces gens est telle qu’invariablement, leur projet dégénérera en un chaos cauchemardesque, comme toutes les expériences similaires qui l’auront précédé. Réalisé, leur idéal tiendra quelque temps avant de s’effondrer, abandonnant aux individus qui, seuls, devront reconstruire sur les ruines de ce qu’il aura détruit. Avant que d’autres hommes et d’autres femmes reviennent, après quelques générations, convaincu.e.s que cette-fois ça marchera, que c’est la bonne, que les autres n’avaient pas compris.

Et comme à chaque fois, banalement, ils entraîneront tout le monde dans la chute. Nihil novi sub sole, je le sais bien, mais on a trop tendance à l’oublier.

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